Quand Seinfeld rencontre Twin Peaks

Antoine Patrelle
4 min readDec 12, 2022

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Si l’origine du mashup nous vient du monde de la musique et surtout du hip-hop, son usage s’est surtout développé sur Internet où la question des droits d’auteurs est forcément plus floue et laisse plus de marge aux créateurs. Le mashup (ou collage) désigne la rencontre entre une œuvre et une autre , rassemblées par un collage musical ou visuel, on apposera sur des paroles d’une chanson la mélodie d’une autre, etc …

Les mashup les plus réussis sont sans doute ceux qui arrive à mettre en lumière les similitudes qui existe entre les œuvres rassemblées. Et plus ces œuvres ou ces genres sont éloignés plus leur union peut être remarquable. Un exemple pour illustrer cela: le détournement du classique de l’horreur Shining en bande annonce de comédie romantique.

Dans le cas qui nous intéresse, plusieurs internautes se sont amusés à rassembler à travers plusieurs collages, deux séries iconiques des années 90 : Twin Peaks et Seinfeld. Apposer de l’étrangeté dans un cadre aussi familier qu’une sitcom, genre routinier par excellence et qui met principalement en scène le quotidien, l’ordinaire, donne ainsi un vernis d’inquiétante étrangeté à l’oeuvre. C’est aussi l’effet voulu par cet autre détournement dédié cette fois-ci à une autre sitcom culte Friends, dans lequel la piste audio contenant les rires enregistrés sont retirés de la bande-son. Ainsi une scène banale, mettant en scène Ross et une insignifiante intrigue de sandwich, devient alors glaçante et inquiétante. Ces vidéos en plus de montrer le caractère parfois toxique de certains personnages, démontrent surtout la fragilité du dispositif comique qui tient finalement à peu de choses.

A la différence de Friends néanmoins Seinfeld n’est pas une série qui se veut bienveillante, de l’aveu même de Larry David, co-créateur de la série, le mot d’ordre pour l’écriture de chaque épisode était no huggin, no learning, pas de câlins réconfortants ni de leçons. Ce mantra condamne ainsi les personnages de Seinfeld à rester bloqués dans la boucle de leurs névroses et de leurs comportements destructeurs et ce pendant neuf saisons. Le cynisme de la série se trouve justement mis en évidence dans un des détournements du compte Seinpeaks :

Dans cette scène, sommet de la cruauté de la série, George apprend que la femme qu’il devait épouser mais qu’il ne souhaitait plus épouser sans pour autant avoir le courage de lui dire, vient de décéder. Et pas de n’importe quelle manière, après avoir léché des enveloppes bon marché, choisies par la radinerie de George qui n’a pas souhaité non plus l’aider dans la réalisation de cette tâche. Ainsi Georges est libéré de son fardeau de la manière la plus inattendue qui soit et sa lâcheté est récompensé. Une fois détournée, sans rires et mais avec la fascinante musique d’Angelo Badalamenti, la réaction de ses amis à une supposée bonne nouvelle est encore plus étrange et se termine même sur un poor Laura qui renvoi à Laura Palmer.

Plus fascinant encore, un podcast créé par le même internaute et intitulé The other side of darkness imagine des épisodes entiers de Seinfeld remodelés par David Lynch ou en tout cas par l’idée que l’on se fait de son style. Ce projet financé via Kickstarter comporte pour le moment quatre épisodes de trente minutes. Du simple détournement sur Tik Tok, on débouche sur une véritable alternative weird-fiction audio.

Dans le premier épisode incarné par plusieurs comédiens imitant les personnages de la séries, on retrouve la structure narrative habituelle d’un épisode de Seinfeld, s’ouvrant sur un sketch de censé donner le ton du thème de l’épisode. Lynch oblige, le sujet du sketch est bien évidemment le rêve, c’est d’ailleurs un rêve mystique qui convint le patron d’Elaine à l’envoyer en Thailande pour un voyage d’affaires. Aussi, les discussions entre George et Jerry qui porte d’ordinaire sur des questions quotidiennes voir triviales, deviennent métaphysiques voir abscons.

Si tout ces détournements fonctionnent (majoritairement)à merveille c’est sûrement grâce à la proximité entre Larry David et David Lynch qui tous deux tendent à révéler l’absurdité du monde et de nos comportements. Pour ce faire, David distille dans Seinfeld, pléthore de personnages excentriques qui n’aurait pas détonné dans la série culte de Lynch.

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