Et si on arrêtait de parler de roman graphique ?

Antoine Patrelle
2 min readApr 17, 2023

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Si comme moi, vous êtes un amoureux du neuvième art, lire la définition du terme roman graphique sur Wikipédia pourrait vous faire tressaillir:

Un roman graphique, aussi appelé graphic novel, désigne généralement une bande dessinée longue, plutôt sérieuse et ambitieuse, contenant des personnages aux psychologies complexes, destinée à un lectorat adulte, et publiée sous forme d’albums. Ce genre cherche à sortir du divertissement pur.

Tout est dit et rien ne va. Si cette définition en est une parmi tant d’autres, elle est néanmoins représentative du regard que certains portent sur la bande dessinée. Une distinction qui n’est pas sans rappeler cette faite entre la littérature blanche et la littérature de genre, entre le cinéma d’exploitation et le cinéma d’auteur ou encore entre le triple A et le jeu indé.

Ce qui transparaît dans ces distinctions, c’est un refus du format, des codes, de la reproduction en somme. Si il a bien fallu des francs-tireurs comme Will Eisner pour proposer une vision différente de la bande-dessinée (c’est à lui qu’on doit le terme graphic novel, sans rancune Will) et sortir des formats rigides du strip ou du comics, sommes nous encore dans la même configuration aujourd’hui ? Le temps où la bande dessinée européenne ne pouvait pas se concevoir autrement que dans le format album à 48 pages et où il fallait sortir du cadre est révolue. Les bandes dessinées avec une couverture souple et en noir et blanc ne sont plus des exceptions à contre-courant du marché, bien au contraire. Il suffit de regarder le succès de l’Arabe du futur pour s’en convaincre.

Aussi le terme roman graphique sous-entend que l’oeuvre serait forcément bavarde et comporterait beaucoup de texte en son sein. Mais aussi, il induit une supériorité du texte sur l’image où cette dernière ne serait plus qu’un simple complément du texte. Alors que dans la bande dessinée leur interconnexion est essentielle. Une bande dessinée pourrait même se passer du texte alors que le dessin lui,est indispensable.

Il faudrait s’interroger sur la constance de la place de la littérature dans l’anoblissement d’arts récents. Ce fut notamment le cas du jeu vidéo, lors de la sortie d’Heavy Rain, on a pu voir Mathieu Kassovitz promouvoir le jeu en parlant d’un scénario de plus de 2000 pages, là où un script de cinéma en compte seulement 100 ou 200, petit joueur. C’est encore l’écriture qui est mise en avant, quitte à supplanter ce qui constitue la spécificité du médium qu’elle envahie, il suffit de voir comment les premières années du cinéma parlant ont tuées une forme de créativité qui était jusqu’alors propre au cinématographe.

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