Eat the rich : la lutte des classes selon Hannibal Lecter

Antoine Patrelle
4 min readJan 5, 2022

--

Lorsque Hannibal Lecter rencontre Clarice Starling pour la première fois, sa première remarque concerne le sac de cette dernière , qu’il complimente. Si cette remarque peut sembler innocente, elle est en vérité lourde de sens et Hannibal le sait. Chacune de ses phrases sont délivrées avec parcimonie et s’apparentent à de fins coups de lames conçues pour toucher son interlocuteur en plein cœur,là où ça fait mal. Car ce fameux sac est le seul objet de valeur que Clarice Starling possède, tout au long de son parcours elle cherchera à cacher ses origines modestes. Ce compliment déguisé de Lecter est suivi par une remarque désobligeante concernant les souliers de Clarice, pas à la hauteur selon lui, de son statut d’agent du FBI. A chacune de ses apparitions, Lecter semble obsédé par le goût, le bon mais aussi par une certaine idée du raffinement. Une obsession qui guidera toute sa vie et les nombreux crimes qui l’ont parcouru. Ainsi, consciemment ou non, l’oeuvre de Thomas Harris et ses adaptations sont émaillés de différents concepts issus de la lutte des classes. Que ce soit la violence de classe justement ou encore la récupération par la bourgeoisie des créations issues des classes populaires. L’occasion de se replonger dans toutes ces œuvres accompagnés d’un délicieux chianti si vous le voulez bien.

Qui est Hannibal Lecter ?

D’abord personnage secondaire dans Dragon rouge, le premier tome de la saga de Thomas Harris, Hannibal Lecter finira par devenir le véritable moteur de cette quadrilogie hors-normes. Le dernier tome de la saga lui étant totalement consacré, faisant office de prequel, il raconte les origines de Lecter et surtout son ascension sociale. C’est dans le troisième tome de la saga ( Hannibal Rising ) que l’on découvre un Lecter enfin libre, libre de s’adonner aux plaisirs qu’il juge digne de son rang et de ses passions. Ce n’est pas un hasard si on le retrouve à Florence où il fait étalage de son bagage culturel, de sa connaissance de l’histoire de l’art et de l’histoire de la fameuse ville toscane. Ses connaissances lui permettant même d’accéder au poste de conservateur à la bibliothèque contemporaine du Palazzo Capponi Vettori, présentée comme une véritable institution dans le roman d’Harris. C’est d’ailleurs ce poste qui lui permet d’accéder à des documents généalogiques, lui permettant de confirmer l’assomption selon laquelle sa famille descendrait des Visconti, une manière pour lui de se démarquer de l’aune du commun. La vision qu’a Lecter de l’art rejoint la définition donné par Jacques Aumont de ce que l’on appelle les arts nobles, qui désignent les beaux arts mais surtout un art dont l’exercice ne déshonore pas. La peinture, la sculpture et enfin l’opéra sont encore perçus comme des disciplines artistiques réservées à une élite, seule capable d’en apprécier toutes les subtilités. Vous n’entendrez ainsi jamais Lecter vanter les mérites d’un roman de gare, d’une émission de radio ou encore d’une série télévisuelle. On perçoit ici un profond rejet de la culture dite de masse , des œuvres reproductibles dont l’accès est ouvert à un public large.

C’est beau la petite bourgeoisie

Lecter n’est pas le seul personnage de l’univers de Thomas Harris a être obsédé par des questions de classe et de rang social. Clarice Starling, en plus de subir de nombreuses discriminations et micro-agressions du fait de son sexe, elle est aussi rabaissée vis à vis de ses origines modestes. Des origines qu’elle essaye de cacher constamment en achetant des vêtements excessivement distingués et qui paradoxalement la trahisse. Lecter remarque d’ailleurs instantanément le sac couteux que Clarice porte , pour lequel elle a économisée pendant des années. Ce ressentiment intériorisé par Clarice est porté à son paroxysme lorsqu’elle enquête sur la disparition de la dernière victime de Buffalo Bill , Catherine Martin, fille de sénateur. Clarice, malgré sa volonté de la retrouver vivante , ne peux pas s’empêcher de jalouser son statut.

Le crime comme art ultime

Dire qu’Hannibal Lecter est un personnage méprisant est un euphémisme. Meurtrier et cannibale, il ne considère pas ses victimes comme des humains digne de son rang, elles ne sont que des proies pour lui. Lorsqu’il explique qu’il les honore en les cuisinant , c’est en vérité sa vision de lui même qu’il flatte, considérant qu’être cuisiné par quelqu’un de son rang serait honorifique. Peu de ses contemporains ont grâce à ses yeux, et ce que l’on constate dans la série Hannibal, réinvention des livres de Harris par Bryan Fuller, c’est la grande solitude de Lecter. Ce dernier cherchera pendant trois saisons à être compris dans sa perversion, notamment par Will Graham. Lecter conserve aussi un intérêt pour ceux qui partagent sa passion pour le meurtre et sa portée esthétique. Ainsi dans la première saison d’Hannibal, Lecter aide le meurtrier Garret Jacob Hobbs avant de reprendre son œuvre après sa mort. Une manière pour lui “d’élever” son œuvre, de la magnifier, de la rendre acceptable selon les codes esthétique d’Hannibal, bien plus raffinés que ceux de Hobbs, simple ouvrier de chantier.

Enfin on remarque que les antagonistes dans l’univers de Thomas Harris se distinguent par leur immobilité, ce qui n’atténue jamais leur influence. Lecter passe la majorité de l’intrigue du Silences des Agneaux dans une cellule, ce qui ne l’empêche pas d’être au cœur du récit. Son regard sur le monde est toujours convoité par tous les personnages qui gravitent autour de lui, il est encore publié par des confrères malgré ses atrocités. Comme si son statut social était éternel et inaltérable. Dans Hannibal Rising, Harris nous présente un antagoniste à la hauteur de Lecter en la personne de Mason Verger. Véritable pervers sociopathe, il est immobilisé, défiguré, brisé , mais il jouit encore d’un vrai pouvoir financier lui permettant de mener une chasse à l’homme envers Lecter sans jamais sortir de son lit.

Harris montre a quel point le véritable pouvoir se situe dans ces hautes sphères où le raffinement excuse tout et où l’argent est roi.

--

--