De quoi l’elevated horror est-elle le nom ?
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Le terme “ Elevated horror “ est apparu depuis quelques années dans les cercles cinéphiles pour décrire un certain type de films d’horreurs qui se distinguent soi par une esthétique léchée, un message politique affirmé et surtout une manière très personnelle de s’approprier les codes du cinéma d’horreur. Parmi les chefs de file de cette nouvelle mouvance on peut citer Jordan Peele, Ari Aster, Jennifer Kent ou encore Robert Eggers. Ces derniers se sont distingués ces dernières années par leur approche originale et personnelle du genre, réussissant même pour certains à convertir un public à l’origine plutôt réfractaire à ce type de cinéma.On pense notamment à Jordan Peele qui avec son premier film a réussi à rafler la précieuse statuette du meilleur scénario original. Le dernier film de genre plébiscité comme cela étant Le silence des agneaux de Jonathan Demme.
A travers cette mouvance, un studio en particulier a su tirer son épingle du jeu : le studio A24 fondée en 2012 par Daniel Katz,David Fenkel et John Hodges. Un studio plutôt jeune donc, produisant principalement des films indépendants mais qui a surtout su exporter ce cinéma par essence confidentiel et réservé à un public cinéphile à un plus grand public. Ainsi dans l’imaginaire collectif le studio A24 renvoi à une imagerie particulière proche de l’idée que l’on se fait des films sélectionnés au festival de Sundance. Une dimension auteuriste très marqué qui s’est aussi emparé du cinéma d’horreur.
Cette séparation entre un cinéma d’horreur plus réflexif et artistique et un cinéma d’horreur plus commercial et proche du cinéma d’exploitation ressemble à la distinction existante en littérature entre ce que l’on appelle la littérature blanche et la littérature dite “noire”. Dans un article du Monde daté du 5 novembre 2013, Pierre Lemaître , auteur d’Au revoir la haut notamment s’exprime en ses termes lorsque l’on évoque son passage du polar à la littérature blanche :
Quand on est un auteur noir, qu’on écrit des polars, il arrive un moment, dans notre carrière, où l’on a envie de « sniffer de la blanche » : d’écrire des romans et de devenir, enfin, un écrivain.
De par ses mots, Pierre Lemaître met le doigt sur un écueil récurent du cinéma de genre qui empêcherait ses réalisateurs d’accéder à un statut d’auteur notable. La distinction entre les polars et la littérature blanche, en plus d’exister à travers des récompenses institutionnelles existe aussi dans la fonction même de ces récits, certains existant simplement pour divertir tandis que les autres élèvent l’esprit du lecteur. On parle même pour certains genre de romans d’oeuvres paralittéraire , autrement dit : en dehors de la littérature.
Dès lors les réalisateurs embrassant totalement le genre horrifique feront l’objet , au mieux, d’une qualification d’habile technicien doué pour exécuter son récit balisé mais sans jamais le transcender ou l’incarner. Tout ceci ne vaut évidemment pas pour la presse spécialisée qui saura reconnaître de véritables auteurs , alors que la presse généraliste aura tendance à le faire à rebours , parfois avec plusieurs décennies de retard (ce sera notamment le cas pour John Carpenter célébré tardivement , notamment pour les thématiques sociales de ses films ).
Il faut cependant ajouter que cette distinction rigide existe surtout en France comme le fait d’ailleurs remarquer Marc Lits dans son texte sur la position du roman policier dans la littérature :
Il est d’ailleurs intéressant de constater que c’est surtout en France qu’une division aussi rigide entre différentes catégories apparaît, et plus nettement dans le chef des critiques que des écrivains. En Angleterre, Chesterton écrit aussi bien des romans « classiques » que des récits policiers ; en Russie, Dostoïevski emprunte des trames policières pour nombre de ses romans ; aux États-Unis, Hemingway reconnaît sa dette envers Hammett et Chandler
Cet héritage,on le retrouve notamment à travers une période bien spécifique du cinéma de genre français située au début des années 2000. Sous l’impulsion du groupe Canal + plusieurs films d’horreurs français voient le jour et avec elles de nouveaux réalisateurs naissent . Que ce soit Fabrice du Welz ou encore Pascal Laugier, la majorité des productions de ce courant se distingueront et se rassembleront par leur volonté de choquer, de briser de nombreux tabous et d’avoir recours à une extrême violence. Mais pas seulement.
Ce qui rassemble des réalisateurs aussi éclectiques que Fabrice du Welz et Pascal Laugier c’est leur rapport au genre horrifique, c’est d’ailleurs ce que Fabrice du Welz explique dans le très bon documentaire Viande d’origine française :
On a tous été baigné par la sous culture américaine, on a tous envie de faire notre Evil Dead mais en même temps on est aussi des fils de Jacques Doillon et on se comporte tous devant le film que l’on est en train de faire comme le ferait Jacques Doillon. Avec cette volonté d’être un auteur et en même temps de faire de des films d’exploitation et c’est sûrement à cause de ça que l’on arrive à des films hybrides. Parce qu’en France il y a cette volonté d’être plus malin que mon sujet.
De la bouche même des créateurs on retrouve ici un point important concernant le statut d’auteur, un statut que l’on ne pourrait pas atteindre en réalisant des films d’exploitation mais seulement en posant un regard sur le genre.Ici l’influence d’une réalisatrice comme Claire Denis avec son Trouble every day et sa vision du vampirisme, est palpable. C’est d’ailleurs ce que fera Pascal Laugier tout au long de sa passionnante filmographie, après un Saint-Ange trop cinéphile, Laugier s’émancipe de ses aînés de la manière la plus violente qui soit avec Martyrs avant de jouer à deux reprises avec les codes du cinéma fantastique dans The secret et Ghostland.
La question du regard sur le genre en amène une autre : faut-il regarder le genre de haut pour “l’élever” ?
La simple terminologie de ce sous-genre que serait l’elevated horror est méprisante envers le reste de la production horrifique , elle induit l’idée d’une supériorité et d’une valeur ajoutée. Cette distinction existe pour permettre à certains films de dépasser le cercle des initiés ou du grand public pour atteindre un public soi-disant plus cinéphile.
Mais alors en quoi ces films serait supérieur aux autres ? Comment les différencier ? Pour y voir plus clair, penchons-nous sur la carrière d’un brillant réalisateur canadien qui incarne parfaitement cette dualité.
David Cronenberg se fait connaître auprès des cinéphiles grâce à plusieurs films d’horreurs à petit budget , portés par la même thématique à savoir un rapport au corps et à sa mutation. Rares sont les réalisateurs tributaires à eux seuls de l’invention d’un genre mais si il fallait définir l’inventeur du body- horror ce serait bien David Cronenberg. Pourtant , peu à peu et de films en films , Cronenberg va délaisser son cinéma très organique pour s’aventurer vers un cinéma de plus en plus cérébral et intellectuel. Désormais les tourments de ses personnages ne sont plus extériorisés par le changement de leurs corps mais verbalisés comme dans le très verbeux ( mais fascinant ) Cosmopolis, une adaptation de l’auteur Don DeLillo. Pour certains amoureux du genre, ce revirement sera vu comme une trahison, et sera même perçu comme une volonté d’assainir son cinéma, de le rendre plus noble (en adaptant des auteurs illustres notamment) et moins subversif. Que l’on soit en accord ou pas avec cette vision de la carrière de Cronenberg, il faut reconnaître que son parcours est une belle démonstration de la perception des effets gore au cinéma dont Cronenberg s’est progressivement débarrassé.
Dès lors, seront mieux accueillies par la critique les films d’horreurs qui délaisseront certains apparats du genre , dont le gore fait parti, pour privilégier une horreur plus psychologique. Même chose pour les éléments trop fantastiques, ces derniers seront acceptés seulement s’ils ne sont en vérité qu’une métaphore des tourments du personnage. Ici apparaît un rejet de l’horreur dans sa forme la plus pure, la simple volonté de faire peur n’est pas suffisante elle se doit d’avoir un but plus profond. Laissant alors le choix entre un tour de train fantôme et une psychanalise cauchemardesque.
Pour autant il serait faux et malhonnête de dire que tous les films de ce sous-genre prennent le genre horrifique de haut, la terminaison de Fabrice du Welz semble plus honnête quand il parle de films hybrides. Plutôt que d’embrasser pleinement les codes d’un genre et son esthétique, les réalisateurs et réalisatrices de ces films revendiquent plusieurs influences, qu’elles viennent du cinéma d’horreur ou non. Certains réalisateurs comme Haneke ou Lars Von Trier ont eux aussi tourné autour du genre et ont proposé tout au long de leur filmographie , un discours esthétique sur la violence. Quand Ari Aster évoque les dix films qui l’ont inspiré pour Midsommar, seulement un relève du cinéma de genre, les autres comme Scènes de la vie conjugale ou Modern Romance traitent de la question du couple, un aspect central de son film. Il faudrait alors espérer que ces films hybrides , hésitant parfois entre plusieurs cinémas, soient d’intrigantes portes d’entrées vers un cinéma d’horreur qui ne demande qu’a être découvert et apprécié à sa juste valeur.