C’est tout pour moi : le stand-up au cinéma

Antoine Patrelle
6 min readAug 17, 2021

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Si la figure de l’humoriste est depuis les années 90 ( et le succès de Seinfeld) bien présente à la télévision, elle se fait plus rare au cinéma. Sans jamais prétendre à l’exhaustivité, passons en revue la manière dont la figure de l’humoriste est traitée au cinéma, qu’elle soit subversive ou bien un moyen comme un autre de parler du passage à l’âge adulte.

Fuck !

Evoquer l’histoire du stand-up c’est aussi faire l’histoire du langage et de son évolution. Le stand-up , tout comme la culture populaire américaine dans les années 70 a connu des bouleversements majeurs. La violence du conflit au Vietnam rendu visible par les reporters de guerre a fini d’émouvoir une génération contestataire et prête à renverser les mœurs et les tabous. Dès lors, la violence tout comme la sexualité, cessa d’être suggérée, il fallait désormais montrer la vie comme elle l’était, crue et cruelle.

Cette mutation artistique touchera aussi le milieu de stand-up, qui naîtra dans sa forme moderne à cette époque. Tout comme Richard Pryor, Lenny Bruce est à ses débuts un humoriste raté, se contentant de répéter les mêmes clichés que ces ainés, performant de l’humour inoffensif, propre, qui ne choque personne et surtout pas le milieu bourgeois. Dès lors que Pryor et Bruce ont commencé à parler d’eux, de leur vécu, le stand-up changea à jamais.

C’est cette transition que raconte le sublime Lenny réalisé par Bob Fosse. Dans ce biopic , Dustin Hoffman incarne un Lenny Bruce survolté, imprévisible mais aussi terriblement romantique. Ici , la figure de l’humoriste est montrée sous l’angle de la subversion, une subversion jamais fantasmée lorsque l’on connaît le traitement que la police et la justice ont réservé à Lenny Bruce. Malgré tout, cette lutte face aux institutions n’est pas le cœur du film.

Adapté d’une pièce de théâtre écrite par Julian Barry , le film emprunte une structure proche du chef d’œuvre de Kurosawa : Rashomon pour tenter de rendre compte de la personnalité complexe de Lenny Bruce. Le film est entrecoupé d’entretiens de proches ayant connu personnellement Lenny Bruce, que ce soit son ex-femme ou bien son agent. Le reste du film entrecoupe des moments de spectacle avec les moments de vie qui les ont inspirés ( une idée reprise plus tard par Jerry Seinfeld pour sa série phare).Le film met notamment l’emphase sur la relation très charnelle qu’entretient Lenny avec sa femme, ce qui explique la manière chaleureuse qu’a Lenny de parler de sexe dans ses spectacles.

Ce sera justement pour sa manière très crue de parler de sexualité qu’il sera condamné à plusieurs reprises, le film s’efforce pourtant dans un premier temps à montrer une sexualité libérée et joyeuse. Dans un premier temps seulement car au fil des années, la relation entre Lenny et sa femme se délite, avec comme point de départ un sublime plan à trois , censé être l’aboutissement d’une vie sexuelle mais qui se révèle finalement d’une tristesse infinie où l’on voit finalement trois protagonistes seuls avec eux mêmes et leurs angoisses.

Tout au long de sa carrière Lenny Bruce aura questionné la notion de vulgarité et de censure. Pour lui la véritable vulgarité, la vraie grossièreté réside dans le racisme ordinaire, dans la violence du quotidien. Au début du film, il refuse de perpétrer une vision oppressive de l’humour, qui se repose sur les mêmes clichés, bien souvent sexistes, raciste et homophobes.

On retrouve dans le film Dolemite is my name, biopic consacré à Rudy Ray Moore, une trajectoire similaire. Rudy est un humoriste sur le déclin, qui n’a d’ailleurs jamais véritablement trouvé le succès, il se produit dans un comedy club minable et recycle lui aussi de vieux sketchs poussifs. Seulement dans les années 70 le vent tourne et c’est en écoutant les histoires racontées par les SDF de son quartier que Rudy va trouver l’inspiration et par la même, le succès. Il enregistre leurs histoires et les réécrit avec de meilleurs punchlines mais l’essentiel est là: Rudy Ray Moore raconte la rue, la vraie. C’est encore une fois cette authenticité qui fera la différence, ce regard cru sur la vie très loin de l’humour lisse d’antan lui aussi portée par une vision décomplexée de la sexualité.

Un prétexte à l’introspection

Cette quête de l’authenticité va aussi irriguer une autre forme de biopics, plus autobiographiques cette fois-ci , comme le très touchant Sleepwalk with me où l’humoriste Mike Birbiglia joue son propre rôle et raconte ses débuts. Dans ce merveilleux film, Birbiglia raconte un passage obligé dans le parcours d’un humoriste qui réussit, à savoir le moment où il trouve son style, sa voix. Comme dans Lenny ou encore Dolemite, Birbiglia débute le film avec du matériel impersonnel , cette fois-ci tourné vers la pop-culture, mais qui en plus d’être inefficace, ne révèle jamais rien sur lui.

Dans sa vie personnelle, Birbiglia a aussi du mal à verbaliser ce qui lui convient et surtout ce qui ne lui convient pas , comme son mariage avec sa compagne qu’il accepte sans réelle motivation. C’est lorsqu’il va commencer à parler de sa vie personnelle sur scène que sa carrière va vraiment décoller et par la même qu’il va assumer ce qu’il désire réellement dans sa vie personnelle. En plus d’être souvent inventif, Sleepwalk with me raconte très bien ce qu’est le stand-up à savoir une extériorisation de l’intime qui brille aussi par son universalité. Il ne suffit pas de raconter ses problèmes personnels pour faire du stand-up, la différence réside dans cette mutation de l’intime à l’universel par l’intermédiaire de la blague.

Dans le sublime Funny People de Judd Apatow, Adam Sandler incarne George Simmons, une star de la comédie balourde plus que jamais proche de lui. Sa vie bascule lorsqu’il apprend qu’il souffre d’une maladie grave et que ses jours sont comptés. Dès lors, après avoir fait la rencontre d’un jeune humoriste débutant, il va se lancer dans une quête spirituelle pour donner un sens à sa vie. Ici , le stand-up est montré comme un retour à une certaine forme d’authenticité , c’est d’ailleurs le premier réflexe qu’a George lorsqu’on lui annonce qu’il est souffrant. Remonter sur scène est alors un moyen pour George de se reconnecter avec son public, en chair et en os, de se confronter aussi à la vie, celle qu’il s’apprête à quitter.

Sa rencontre avec Ira, humoriste débutant, sera déterminante pour George, en plus de devenir son auteur, il incarnera surtout sa conscience et l’aidera à prendre les bonnes décisions. Si les premières blagues qu’Ira écris pour George sont impersonnelles et ont surtout pour but de correspondre avec les thèmes de son époque et de sa génération, elles deviendront de plus en plus personnelles et intimes au fur et à mesure de l’évolution de leur relation. La scène de la playlist est une tentative d’Ira pour accéder aux émotions de George. Il s’agît peut-être ici de la représentation la plus fidèle de ce qu’est le métier de co-auteur pour un humoriste, comme l’explique notamment Bruno Muschio ( auteur pour plusieurs humoristes notamment Kyan Khojandi ou Thomas VDB) écrire pour quelqu’un consiste surtout à l’accompagner dans sa vie quotidienne, à l’écouter pour réussir à comprendre ce que la personne désire réellement raconter sur scène. C’est finalement en écrivant des blagues pour Ira que Georges finira par découvrir véritablement qui il est, en effectuant pour la première fois un acte désintéressé.

Apatow n’est pas seulement doué pour montrer les rouages de la comédie, car dans ses derniers films il s’est surtout efforcé de mettre en scène l’absence de comédie ou plutôt de rencontre avec la comédie. Ses deux derniers films mettent en scène de manière très autobiographique la vie de deux comédiens à savoir Amy Schumer et Pete Davidson. Si Apatow a supervisé l’écriture des scripts, il n’est pas pour ainsi dire le scénariste du film comme il l’était autrefois. Pourtant ces deux films partagent un point commun , ils racontent la vie de leur protagoniste si ces derniers n’étaient jamais devenu comédiens, ainsi la comédie ne peux plus servir de déclencheur pour une introspection salvatrice.

Que ce soit par les réflexions osées de Lenny Bruce où par l’écriture très souvent autobiographique de Judd Apatow, la comédie et plus précisément le stand-up n’est jamais autant universel que lorsqu’il est une excuse pour parler de soi, à condition de savoir qui nous sommes.

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